Après trois années de dur labeur, l'heure de la récolte a sonné ! La date du 23 Décembre 2023 restera gravée dans la mémoire de l'École de criminologie comme le jour où le premier diplôme de cette prestigieuse école y est sorti.
Il s’agit de Joël NZAMPUNGU. Communicologue au départ, animé par le goût de la criminologie, ce dernier s’est inscrit en 2019 en master à l’école de criminologie.
Le travail qu’il a défendu ce 23 Décembre 2023 a porté sur : « les effets de la médiatisation des faits divers criminalisés sur les proches des protagonistes en contexte congolais : Analyse des mécanismes de stigmatisation et de réorganisation identitaire ». Il s’est agi selon le récipiendaire, de mettre en lumière les mécanismes de stigmatisation et de réorganisation identitaire de ceux-ci comme effets de cette médiatisation. Cette préoccupation centrale a été inscrite dans une double problématique mobilisant la grille de lecture de l’agenda setting et de l’étiquetage. La première grille de lecture a permis à Joël NZAMPUNGU de considérer que les médias sélectionnent le contenu des informations devant faire l’objet de la couverture médiatique en fonction de leur capacité d’accroitre l’audimat. La deuxième, la théorie de l’étiquetage, lui a permis de considérer que les proches des protagonistes des faits divers font l’objet d’un étiquetage, conséquente à la médiatisation, par leur stigmatisation.
A l’en croire, les faits divers criminalisés font l’objet d’un double contrôle social, l’un formel, à travers l’activité des autorités judiciaires, et l’autre informel, à travers non seulement les médias, mais surtout, à travers des attitudes de réprobation et de rejet par les membres du groupe social. Si le premier contrôle touche uniquement les protagonistes, le second atteint leurs proches.
Grâce aux données qualitatives, mobilisées par Joël NZAMPUNGU moyennant des entretiens semi-dirigés réalisés avec quelques proches des protagonistes de neufs faits divers médiatisés, et analysées moyennant l’analyse thématique, il se dégage que les proches des personnes médiatisées pour des faits criminalisés, sont affectés moins par les faits eux-mêmes commis par ces personnes, même s’ils sont judiciarisés, que davantage par les réactions des autres membres du groupe social à la suite de la médiatisation de ces faits. Ils sont, en effet, stigmatisés, soit par le fait d’associer leur lien de parenté avec le statut de la personne médiatisée (par exemple en les considérant comme la mère d’un cambrioleur, d’un violeur, d’une prostituée ou d’un Kuluna, etc.), soit par le refus de participer à ses activités lucratives (décourager les candidats locataires d’un studio mis en bail), lui causant des pertes financières.
Selon le récipiendaire, cette stigmatisation est davantage renforcée par les réactions sociales informelles découlant de la médiatisation, et qui, soit, dénaturent les faits commis, soit subliment l’information s’y rapportant. Il en résulte un élargissement de la réprobation sociale aux proches des personnes médiatisées. Il se dégage ainsi un écart important entre le rôle attendu des médias (informer l’opinion publique, former et divertir) et le rôle joué par eux dans la médiatisation des faits divers criminalisés (stigmatiser les proches des personnes médiatisées), généralement sans que les acteurs des médias s’en aperçoivent, se fixant uniquement sur le devoir d’informer.
En conséquence de cette stigmatisation note Joël NZAMPUNGU, les proches des protagonistes des faits divers criminalisés et médiatisés réalisent une certaine réorganisation identitaire qui se manifeste, soit par l’isolement et le repli sur soi, en demeurant dans le même milieu de vie, soit par la délocalisation du protagoniste ou de soi-même, en changeant de milieu de vie.
Ces résultats permettent à Joël NZAMPUNGU de soutenir que la médiatisation produit un effet fragilisant pour les proches des protagonistes, qui, bien souvent, ont dû faire face aux multiples difficultés et traumatismes à la suite de la mise en cause de leurs membres de famille, souvent dans le cadre de la justice pénale. Le récipiendaire fait remarquer que les proches des protagonistes intègrent une image négative des membres de famille, leur renvoyée par les médias ainsi que les autres membres du groupe social, au point de s’identifier avec les personnes médiatisées, ce qui provoque un sentiment d’incapacité, d’impuissance et d’injustice. Les multiples interactions qui retracent leur trajectoire marquent la manière dont elles se perçoivent, et produisent des conséquences directes sur leur capacité à se projeter dans le futur et à prendre leur place au sein du groupe social révèle Joël NZAMPUNGU.
Ainsi, au-delà des bénéfices que la médiatisation peut apporter par rapport au droit à l’information du public sur ce qui se passe et sur la possible moralisation de la vie sociale ou de la vie publique, la stigmatisation des proches des personnes médiatisées, constitue selon le récipiendaire, une atteinte aux droits de ces dernières à la bonne réputation et à la bonne considération sociale. Et de poursuivre, la médiatisation semble étendre les conséquences de la responsabilité pénale individuelle à une responsabilité sociale familiale. Il s’agit là de l’extension des conséquences de la rationalité pénale moderne (Pires, 2001), en tant qu’elle produit la souffrance non seulement à la personne mise en cause, mais également à ses proches, qui pourtant n’ont commis aucun acte.
Après un échange fructueux entre le récipiendaire et les membres du jury, l’heure du verdict a sonné. Le candidat Joël NZAMPUNGU termine son master avec la mention grande distinction.
Ce désormais premier criminologue de l’université de Kinshasa souhaite remettre le résultat de son étude au CSAC, organe chargé de réguler les médias en RDC pour renforcer la formation éthique des acteurs des médias et d’organiser un contrôle externe de leurs activités pour préserver les droits humains dans un contexte démocratique et d’un État de droit. Un tel contrôle pourrait-il être judiciaire ? S’interroge-t-il. Et de répondre, il semble que, mise en œuvre dans le cadre d’une rationalité pénale moderne, il produirait toujours de la souffrance. Si l’on pouvait envisager qu’un tel contrôle soit extrajudiciaire, il se posera certainement la question des modalités adéquates de sa mise en œuvre. Dans tous les cas, ces questions mettent en évidence la nécessité d’étudier plus en profondeur les relations que la justice pénale entretient avec les médias dans le contexte des sociétés africaines où on a tendance à observer une certaine confusion entre le pouvoir politique, judiciaire et médiatique.