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Université de Kinshasa : L’école de criminologie lance sur le marché la première femme criminologue !

Joel NZAMPUNGUSun Nov 10 2024

Université de Kinshasa : L’école de criminologie lance sur le marché la première femme criminologue !

La date du 23 Mars 2024 restera gravée dans la mémoire de l'École de criminologie  comme le jour où la première femme y a défendu son mémoire de master.  Il s’agit de Madame Everett Nionzi Nzolani.

Coïncidence du jour : la présidente du jury, une dame, la professeure Irené MVAKA, la promotrice du mémoire, une dame, la professeure Sara Liwerant et le mémoire a été défendu au mois de mars, mois dédié à la femme !

En effet, la recherche de Madame Everett Nionzi Nzolani a porté sur « la gouvernance participative au féminin à la prison centre de Makala ». Elle est partie d’un double constat. Le premier est celui de l’existence d’un quartier femmes au sein de la prison centrale de Makala. Il s’agit du pavillon 9 qui est réservé aux détenues femmes majeurs et aux enfants de sexe féminin placées par une décision du juge pour enfants. Sur un effectif total d’environ 12.000 détenus que compte cette prison, au moment de son séjour de recherche, le pavillon 9 comptait 260 détenues femmes, pour une capacité d’accueil initial de 60 détenus. Le deuxième constat est lié à la présence des femmes détenues dans l’administration pénitentiaire.

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Selon la récipiendaire, ce sont les femmes détenues qui accueillent et orientent les visiteurs. Ce sont elles aussi qui sont au service des magistrats, en ce qu’elles exécutent les différentes demandes liées à ce quartier. Pour n’en citer que ces quelques tâches. Bref, les détenues femmes sont impliquées dans la gestion pénitentiaire au quotidien. Il s’agit selon Everett Nionzi d’une nouvelle forme de gouvernance pénitentiaire qui n’est nullement un simple arrangement. Et d’ajouter, « l’exercice par des femmes détenues des tâches souvent réservées au personnel pénitentiaire ainsi que leur implication à la recherche des solutions d’intérêt général, au sein du quartier et de l’institution pénitentiaire dans son ensemble, traduit une réalité qu’il faudrait comprendre afin de découvrir ses logiques ». Ce double constat l’a conduit à formuler la question de départ suivante : comment comprendre la gouvernance participative et les logiques qui animent ladite gouvernance au quartier femmes de la prison centrale de Makala ?

Pour répondre à cette question qui était son premier fil conducteur, Everett Nionzi  a mobilisé une double approche théorique comme deuxième fil conducteur. Il s’agit de l’approche systémique et de l’interactionnisme symbolique. Si l’approche systémique lui semble adaptée pour saisir la gouvernance au quartier femmes de la prison centrale de Makala, à partir des relations entre les différents éléments du système pénitentiaire, à savoir, les relations entre les détenues femmes et le personnel pénitentiaire, ou entre détenues femmes et détenus hommes, ou aussi entre détenues femmes au sein du même quartier, l’interactionnisme symbolique pour sa part répond mieux à la question du sens de la nouvelle gouvernance pénitentiaire.

Everett Nionzi a voulu rendre la parole aux femmes détenues, mettre en valeur leurs points de vue pour mieux saisir les interprétations que les unes et les autres donnent, étant donné que chacune possède et développe pendant son séjour au quartier une identité unique qui permettrait de décoder et de donner sens à leur participation à la gouvernance pénitentiaire. À côté de cette double approche théorique, elle a mis en place un dispositif méthodologique qualitatif du type inductif, approprié à la criminologie, privilégiant l’empirisme. Cette démarche exploite les données de terrain à l’aide de l’observation in situ et des entretiens semi-directifs. Sa sélection des acteurs n’a pas été guidée par un échantillonnage préalablement construit, elle a  plutôt mis à profit sa présence à la prison centrale de Makala, institution choisie pour réaliser son stage académique. Bien que stagiaire, elle a  été confrontée relate-t-elle, à des difficultés d’entrer en contact avec les détenues femmes, qui étaient si méfiantes. Présentée comme maîtresse stagiaire, autrement dit comme surveillante, cette présentation a fait qu’elle soit immédiatement assimilée aux surveillantes et indexée comme telle. « les méchantes, inhumaines. Mitema mabe, ba ndoki… ». Ce qui justifie leur méfiance au départ.

L’hypothèse formulée dans sa recherche n’était pas préalable, elle a été construite, vérifiée et s’est consolidée sur le terrain à partir des données empiriques. A l’en croire, il s’agit d’une modalité de gouvernance participative au quartier femmes de la prison centrale de Makala, sur le fond d’une diversité des logiques. Cette hypothèse affirme que la gouvernance au quartier femmes ne relève plus de la responsabilité exclusive de l’État. Ce qui conduit au repositionnement du rôle de l’État dans une complexité de logiques des acteurs en présence.

Les données recueillies par Everett Nionzi ont fait l’objet d’une analyse qui a donné lieu aux principaux résultats suivants, lesquels ont été regroupés en trois points : Premièrement, l’existence d’une gouvernance officielle au quartier femmes, avec un personnel insuffisant et vieillissant, constituée des bénévoles et irrégulier.

La récipiendaire du jour révèle que le quartier se caractérise par une surpopulation, qui fait que le personnel officiel ne sait pas assurer la gestion équilibrée du pavillon. Deuxièmement, l’affirmation d’une gouvernance participative, dans la mesure où les détenues femmes participent activement à la gestion pénitentiaires dans les différents domaines structurés. Elle qualifie de la gouvernance participative aussi, parce que les détenues femmes sont présentent dans d’autres domaines particulier, ce qui traduit leur ingéniosité. Et de poursuivre,  leur participation est liée principalement au statut pénal de la détenue, à son intégration sociale et, à ses compétences dans le domaine d’affectation. Ce qu’Everett Nionzi qualifie de critère objectif. D’autre part, ce sont des liens tribaux et parfois des compétences avérées, le cas de l’adjudant malade. Tels sont les critères subjectifs.

En outre, Everett Nionzi  révèle dans sa recherche que la gouvernance participative est encore à l’ingéniosité féminine. Ici les femmes développent des activités particulières, notamment la pratique d’auto-prise en charge des détenues, sans oublier le kuzu. Troisièmement, la diversité des logiques en jeu. Il s’agit principalement de la logique de la liberté, de celle de survie et celle qualifiée de sécuritaire. Ce sont des logiques qui donnent sens à la gouvernance participative. En pratique, la liberté est recherchée pour lutter contre le sédentarisme aux conséquences néfastes pour la survie en prison, surtout pour les détenues condamnées à  des longues peines. Il faut bouger, accepter de rendre certains services non rémunérés. Le simple déplacement quotidiennement permettrait de briser la monotonie, d’aller à la rencontre de la communauté au lieu de rester sur place.

La recherche de la survie, voilà une autre logique qui permet selon Everett Nionzi de comprendre la participation de la détenue femme à la gouvernance pénitentiaire du quartier. Il s’agit de se refuser de mourir, malgré les conditions de détentions décrites comme inhumaines, dégradantes. La détenue est à la recherche de sa survie, mais parfois de celle des autres membres de la famille restés à la maison. La logique sécuritaire pour sa part, explique l’intérêt pour la détenue de se voir protéger et d’être informée de tout ce qui se passe. De cette manière, elle se retrouve du moins dans le cercle des protégés, des intouchables.

Après un échange fructueux entre la récipiendaire et les membres du jury, l’heure du verdict a sonné. La candidate Everett NIONZI NZOLANI termine son master  avec la mention grande distinction et entre dans l’histoire de la prestigieuse école de criminologie de l’Université de Kinshasa, comme la première femme diplômée.

 

Joël NZAMPS