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Gigi Kondani : De l'invisibilisation des violences à la résilience sociocommunautaire des femmes congolaises

Joel NZAMPUNGUSun Apr 27 2025

Gigi Kondani : De l'invisibilisation des violences à la résilience sociocommunautaire des femmes congolaises

Après des mois de recherches approfondies et d'un engagement intellectuel soutenu, Madame Gigi Kondani a brillamment soutenu son mémoire de Master spécialisé en criminologie, option : Gestion de la paix et des conflits ce samedi 19 avril 2025.

 

Sa dissertation, intitulée : "Les violences subies par les femmes à la résilience sociocommunautaire en contexte congolais", a mis en lumière une réalité souvent occultée.

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Mme Gigi Kondani est partie d’un constat essentiel : en contexte congolais, les femmes sont victimes de multiples formes de violences qui dépassent largement le cadre des violences sexuelles, mais qui demeurent largement invisibilisées. Cette invisibilisation, qu'elle définit comme un processus de méconnaissance du statut spécifique de certaines violences, entrave leur reconnaissance et leur traitement au même titre que les autres formes d'agressions. Elle occulte également les mécanismes ingénieux que ces femmes déploient pour se reconstruire. Face à cette réalité, la juriste-criminologue a posé une double question fondamentale : quelles sont les formes de violences spécifiques que subissent les femmes en contexte congolais ? et quels sont les mécanismes de résilience qu’elles mobilisent pour se reconstruire ?

 

Pour répondre à ces interrogations, son exploration de la littérature existante sur les violences faites aux femmes en R.D. Congo a révélé des angles morts, des violences et des formes de résilience encore peu documentées. Son analyse s'est ancrée dans une triple approche théorique : l’interactionnisme symbolique, la résilience, et l’économie politique féministe.

 

 L’interactionnisme symbolique a permis de décrypter comment les interactions sociales et les symboles véhiculent des violences spécifiques à l'égard des femmes, en fonction de logiques socioculturelles.

 

 L’économie politique féministe, dans sa perspective africaine, a souligné la contribution économique cruciale des femmes dans des pays en développement comme la R.D. Congo. Quant au concept de résilience, il s'est avéré pertinent pour analyser les réactions positives des femmes congolaises face à la victimisation et à l’oppression. La résilience a été appréhendée non pas comme une simple réaction, mais comme un processus actif, un choix opéré par des femmes identifiées comme actrices de leur propre reconstruction, dont les stratégies sont intrinsèquement liées à leur vécu, leur histoire et leurs aspirations. Ce concept a permis de mettre en lumière les diverses formes d'adaptation positive et les stratégies de résistance actives développées par les femmes congolaises après avoir subi des violences.

 

Privilégiant une approche qualitative, Mme Gigi Kondani a recueilli des données riches à travers des entretiens semi-directifs et des conversations pilotées auprès d'un échantillon contrasté de 30 personnes, qu'elle a croisées avec des données documentaires. Son analyse thématique a permis de dégager des résultats significatifs :

 

§  Primo, les femmes congolaises sont victimes d'une variété de violences, à la fois immatérielles (psychologiques, communicationnelles et numériques, culturelles et sociales, falsifications de la loi) et matérielles (physiques, sexuelles et économiques), qu'elles désignent avec leurs propres mots, révélant une typologie spécifique de violences en contexte congolais.

 

§  Secundo, face à ces violences, les femmes développent des mécanismes de résilience individuels, collectifs et publics, constituant des réponses positives à la victimisation et à l'oppression. L'étude révèle une prédominance des mécanismes individuels, suivis des mécanismes collectifs, puis publics. Il est également apparu que les femmes recourent plus fréquemment à ces mécanismes pour faire face aux violences physiques qu'aux violences non-physiques, et l'étude permet d'identifier les mécanismes les plus sollicités.

 

§  Tertio, un processus de résilience non linéaire et progressif a été schématisé, comprenant les étapes suivantes : la fatalité ("nazo koka té"), la communication, le réarmement moral, la recherche de soutien ("mina tshagwa"), l’autonomisation et la reconstruction continue.

 

Ce processus souligne l'importance cruciale des dimensions psychologiques et des droits de l'homme dans le parcours de résilience des femmes victimes. Face à une violence, le choc initial et le sentiment de dévastation sont suivis d'une phase de communication et de recherche de soutien (auprès d'amies, de conseillères, de figures religieuses ou lors de campagnes de sensibilisation), permettant un réarmement moral. Une fois déterminée et tirant des leçons de son expérience, la femme identifie et saisit une opportunité d'action pour son propre cas. L'étude illustre ce processus à travers l'exemple d'une femme victime de violences physiques et économiques qui initie une petite activité génératrice de revenus ou recherche un emploi et s'intègre dans des réseaux de solidarité comme les tontines pour subvenir aux besoins de ses enfants. Face au rejet, le recours aux réseaux de femmes s'avère essentiel. La recherche souligne l'importance de combiner les efforts individuels avec les initiatives collectives au niveau sociocommunautaire et les mécanismes institutionnels publics existants.

 

Après un échange enrichissant et une délibération attentive, le jury a rendu son verdict : Madame Gigi Kondani a  réussi avec la mention "grande distinction". Elle devient ainsi la 9ème diplômée de l'école de criminologie et la deuxième femme à atteindre ce niveau.

 

En guise de perspectives, ce travail soulève de nombreuses questions cruciales qui méritent d'être approfondies, notamment par les femmes elles-mêmes, en y associant ultérieurement les hommes. Parmi ces questions figurent la situation des familles monoparentales, la protection juridique des femmes par le droit pénal, et le droit des femmes à disposer de leur corps. C'est donc l'ensemble de ces constats et de ces analyses qui donnent son titre pertinent à ce mémoire : des violences subies par les femmes à la résilience sociocommunautaire en contexte congolais.

 

Pour rappel,  ce travail de recherche essentiel a été brillamment dirigé par le Professeur Raoul KIENGE-KIENGE INTUDI.