Lancés par le Président Félix Tshisekedi, les travaux des états généraux de la justice se poursuivent sous le thème : "Pourquoi la justice congolaise est-elle qualifiée de malade ? Quelle thérapie face à cette maladie ?".
Ces travaux qui se termineront le mercredi 13 novembre 2024, visent à faire un diagnostic de la situation de la justice congolaise et à proposer des solutions et des réformes pour redresser ce secteur. De nombreux participants venus de divers horizons prennent part à ces assises.
Intervenant à ces assises, la professeure Sara Liwerant, Directrice adjointe de l’école de criminologie de l’Université de Kinshasa a présenté d’une part le constat du secteur pénitentiaire, les réformes entreprises et les actions prioritaires à mener
Sara LIWERANT a proposé une économie générale de la réforme pénitentiaire à entreprendre pour un modèle pénitentiaire congolais, en insistant sur l’importance des relations sociales en détention.
Ainsi, après avoir posé le diagnostic relatif aux conditions matérielles de détention, aux conditions légales de détention, elle a déterminé les actions prioritaires (en suivant cette catégorisation), notamment : les transfèrements selon les types d’établissement tout en maintenant les liens familiaux, la protection des femmes incarcérées, la prise en charge des populations spécifiques (enfants en conflit avec la loi, problématique de la santé mentale de certains détenus etc.), la mise en œuvre de l’Arrêté interministériel des Ministères de la justice et de la Santé, déjà élaboré, la mise en place d’une ligne budgétaire pour la gratuité des soins, la mise en œuvre de la compétence concurrente dans l’administration des prisons, spécialement pour l’accès à l’alimentation.
Quant aux ressources humaines pénitentiaires, les actions prioritaires consistent particulièrement à : mécaniser les nouvelles unités et de manière plus générale à revaloriser les conditions sociales des agents en passant par la mise en œuvre du cadre réglementaire prévu par la loi du 15 juin 2023 et récemment élaboré. En outre, si des formations des agents pénitentiaires ont lieu, il apparaît important de budgétiser la filière pénitentiaire de l’Institut National de Formation Judiciaire (INAFORJ) et de déterminer notamment si l’actuel débat sur le renseignement pénitentiaire prendra une orientation communicationnelle ou (para)militaire.
Pour finir, la nouvelle mission de l’Administration pénitentiaire conférée par la Loi du 15 juin 2023 relative à la réinsertion ou resocialisation des personnes incarcérées, doit faire l’objet d’une ligne budgétaire y dédiée et l’établissement de différents partenariats avec des ministères dont les compétences sont requises (formation professionnelle, éducation primaire pour les mineurs…). A ce titre, préalablement une politique publique de réinsertion doit être déterminée car elle permettra de décliner la formation des agents et sera complémentaire au cadre réglementaire à mettre en œuvre pour l’application des aménagements de peine.
La professeure Sara LIWERANT a ensuite déterminé deux axes d’orientation de la réforme pénitentiaire, à savoir le renforcement ou l’établissement de synergies institutionnelles ainsi que la mise en place des dispositifs carcéraux.
Pour ce qui concerne les synergies à (r)établir, il s’agit de celles entre :
ü la direction et le greffe pénitentiaire avec le Conseil Supérieur de la Magistrature afin de s’assurer de la légalité des incarcérations
ü le Ministère de l’Intérieur et le Ministère de la Justice pour organiser l’effectivité de la compétence concurrente en matière d’administration des prisons ;
ü le Ministère de la Santé publique et le Ministère de la Justice pour l’accès aux soins et leur gratuité ;
ü d’autres Ministères afin faciliter la réinsertion sociale.
Concernant les dispositifs carcéraux, elle préconise :
ü pour la prise en charge des prévenus : la création d’une Commission de suivi des dossiers judiciaires animée par les magistrats, les greffiers judiciaires, la Direction et le greffe pénitentiaire
ü pour la prise en charge des condamnés : la mise en place de la Commission de suivi de l’application des peine
ü pour l’amélioration de l’accès aux droits et la protection de la dignité humaine des personnes incarcérées, dans l’immédiat elle propose la création de la commission carcérale multi-acteurs.
En effet, un dispositif de redevabilités des détenus doit être mis en œuvre pour faire face aux abus de pouvoir lié au système du « Capita » et pour apaiser les relations sociales en détention. Sur ce point, une option doit être levée, à savoir la suppression du « capita » ou un encadrement des « détenus-auxiliaires de la détention ». De plus, ces dispositifs carcéraux doivent permettre :
ü d’adapter la politique publique pénitentiaire en renouvelant le lien entre le Cabinet du Ministre de la Justice, le Secrétariat général, la Direction Générale de l’Administration Pénitentiaire (et en attendant sa mise en œuvre effective, la Direction des Services Pénitentiaires) et les Prisons. En effet, la réciprocité de la chaîne d’information et de communication entre ces entités permettra l’implantation de politiques publiques adaptées aux problématiques réelles de ce secteur.
Pour rappel, Sara LIWERANT est pénaliste, criminologue et anthropologue du droit et de la justice. Elle a travaillé en milieu carcéral à partir de 1995 dans divers pays et travaille en RDC depuis 2006. Elle a notamment été conseillère de différents Ministres de la Justice et Droits Humains, chargée notamment des dossiers relatifs aux crimes internationaux, à la réforme pénale et pénitentiaire. Ses nombreuses publications portent essentiellement sur le monde carcéral et les espaces de justice post-massacres.
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